Byebye Google
De erg
Byebye Google, c'est le nom de code (relativement explicite) d'un chantier de plusieurs années qui a permis de déconnecter l'erg de Google.
Sommaire
Retour vers le futur des années 2000
Nous sommes le 14 octobre 2009, les premières adresses @erg.be sont créées dans ce qui s'appelle alors Google Apps for Education, un service de Google lancé trois ans plus tôt et regroupant et reliant alors Gmail, Google Calendar, Google Docs et Google Talk.
Entre 2006 et 2012, Google Apps (qui deviendra G Suite en 2016 puis Google Workspace en 2020) est gratuit pour tous·tes les utilisateur·ices, puis ne sera gratuit que pour les versions Google Apps for Education et Google Apps for Nonprofits (en Belgique, pour certaines asbl et fondations validées par une entreprise privée de "charity business"). Les autres associations, PME, etc., qui avaient pris l'habitude d'utiliser des services et des outils "gratuits" se sont retrouvés forcés à mettre la main au porte-monnaie, ou à complètement revoir leur manière de collaborer en ligne...
Cependant, la version Google Workspace for Education Fundamentals, qu'utilisait l'erg jusqu'alors, reste gratuite (tandis que les versions Standard et Plus sont facturées quelques euros par élèves et par années). Bref, une politique commerciale difficile à concurrencer !
Et pourtant, l'erg fait le choix de se déconnecter de Gmail, Drive & cie. Pourquoi ?
Retour sur les périodes de confinement
Une conjonction de plusieurs facteurs permet à l'école d'amorcer un virage vers les logiciels libres, comme le rappelle Peggy Pierrot lors de la présentation de la St·e Claude, à savoir :
- Peggy travaillait alors au Matos et pouvait dégager du temps pour organiser cela,
- il existe dans l'école un écosystème humain favorable au logiciel libre (avec un certain nombre de personnes souhaitant donner plus de place aux logiciels libres, tant du côté d'une partie des enseignant·es que de l'équipe administrative et de la direction),
- plusieurs personnes de l'école étaient proches d'acteur·ices de l'Internet associatif bruxellois (notamment Tactic asbl, Domaine Public etc.)
- et, dernier mais non des moindre, les confinements ont accentué le besoin de garder le contact (malgré la distanciation sociale) avec les étudiant·es.
Lors du premier confinement, la communauté de l'erg s'est dit qu'il était tout à fait possible d'éviter de tomber dans Zoom, Teams & cie, d'autant plus que Peggy avait les "clefs" d'une instance de Mattermost (un équivalent libre de Slack), qui permettait une discussion numérique plus légère et plus fluide que les mails. Un travail collectif de formations internes en pair à pair et d'animation de ces nouvelles manières de faire a permis de traverser le premier confinement. Différents outils libres ont été mis à disposition pour l'enseignement à distance : une instance Jitsi et BigBlueButton pour la vidéconférence et les cours en ligne par exemple.
Au moment de préparer la rentrée 2020-2021, et en anticipant le second confinement, un besoin apparaît : garder des points de communications fiables avec les étudiant·es. Or, contrairement à d'autres ESA utilisant Google Apps / G Suite / Google Workspace for Education, l'erg n'a jamais créé systématiquement de compte pour chacun·e de ses étudiant·es, ni même pour chaque professeur·e. Avec les pseudonymes/homonymes/etc. dans les adresses mails personnelles ou les numéros de téléphone qui changent, ce n'est pas toujours évident. Vient alors l'idée de systématiser la création d'une adresse pour les étudiant·es de la forme prenom.nom@erg.school.
Pourquoi @erg.school et non @erg.be ?
L'idée étant de ne pas foncer dans Zoom & cie, autant ne pas foncer non plus dans Google ! Hors, avec Google Workspace, les courriels @erg.be, pour les profs, étaient gérés par Gmail. Plutôt que de tout faire d'un coup, pour parer au plus urgent, en rapport avec le temps de travail disponible et par soucis de préserver les membres de l'équipe administrative et de la communauté enseignante, l'idée est de créer des adresses avec un autre nom de domaine (erg.school donc), sur lequel l'erg et Tactic auraient entièrement la main, pour partir d'une page blanche avec les étudiant·es, ce qui permettra aussi de distinguer leurs adresses de celles des enseignant·es ou de l'équipe administrative.
Ainsi, les étudiant·es ayant confirmées leur inscription disposaient toutes et tous, en septembre 2020, d'une adresse mail école, d'un espace cloud pour stocker leurs travaux ou accéder à des supports de cours et d'un accès à la plateforme Mattermost.
Relance européenne : business not as usual
À la fin de l'année 2020, l'Union Européenne lance un programme de relance économique : NextGenerationEU, instrument temporaire pour "réparer" l'économie des pays membres suite à la crise (économique) provoquée par la pandémie de COVID-19, et pour créer un "futur plus vert, plus numérique et plus résilient". La pièce maîtresse de ce programme est le Recovery and Resilience Facility, ou RRF, qui se traduira pour l'erg en subventions supplémentaires accordées par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
En effet, toutes les institutions du supérieur (ESA, mais aussi Hautes Écoles et universités) en FWB pouvait bénéficier d'un budget prédéterminé (calculé sur le nombre d'étudiant·es), simplement en en faisant la demande et en présentant un plan d'utilisation qui rentre dans le cadre de RRF. Là où certaines écoles décident d'investir dans des ordinateurs flambants neufs pour "réduire la fracture numérique", l'erg fait le choix d'approfondir ce qui avait commencé à se mettre en en place : un écosystème numérique basé sur des acteurices bruxellois·es, fonctionnant avec des logiciels libres.
Au-delà de la question de principe, il s'agissait également d'une question de survie (comment être sûr d'avoir accès à nos données quelles que soient les crises qui surgissent) et de responsabilité légale : la direction de l'école, selon le Règlement Général de la Protection des Données (RGPD), est en effet responsable de la protection des données qui sont confiées à l'institution, et l'on savait que Google et Microsoft, pour ne citer que ces deux entreprises, stockent les données de leur utilisateurices un peu partout sur la planète, pour assurer redondances, accès 24/7, etc (source ici et là, ou encore cette décision du Danemark d'interdire tous les produits Google Workspace (en anglais)). L'erg était donc dans l'impossibilité de garantir cette protection tout en étant tenue responsable en cas de fuite de données.
Cet idée de retourner au "local" (au sens de proximité et non au sens nationaliste) était aussi l'occasion d'approfondir la connaissance des conditions de travail des herbergeur·euses de nos données, ainsi que des conditions techniques et juridiques auxquelles nous faisons face, sur des serveurs Linux en Belgique.
Cet apprentissage numérique a une autre fonction : le fait de passer à d'autres logiciels (que les blockbusters du genre) permet un apprentissage du principe logiciel (plutôt que du logiciel de telle ou telle marque), et de comprendre un peu mieux les conditions matérielles de fonctionnement de ces infrastructures. Cet apprentissage ne se fait pas de lui-même, spontanément, mais bien par la formation, l'information, les explications pair·es-à-pair·es (vers/avec/entre étudiant·es, enseignant·es, membres de l'équipe administrative), qui permettent une transition en douceur vers ces environnements de travail "différents". Les frottements qui surgissent alors (parfois) sont (souvent) sources de démystification et de ré-appropriations des outils numériques, outils qui pourront par ailleurs être utilisés ou rencontrés à nouveau plus tard dans la vie professionnelle. En effet, de plus en plus d'associations, du milieu de la culture et d'ailleurs, utilisent ces outils.
Par où la sortie, s'il vous plaît ?
Concrètement, comment s'est faite cette déconnexion erg/Google Workspace ?
Après avoir préciser le contexte, il semble important d'insister sur le fait que sans l'accompagnement des informaticien·nes de Tactic de manière régulière et investie auprès des équipes ce changement ne pourrait avoir lieu. Il demande aussi une curiosité, une énergie, une solidarité, une écoute entre membres des équipes administratives, étudiants et enseignantes dans ce processus d'apprentissage collectif.
Sans pouvoir donner de recette, on peut exposer quelques éléments clés de ce chantier. Sans pouvoir donner de recette, car, cela va sans dire (mais c'est toujours mieux en le disant) : il s'agit d'une alchimie particulière à un groupe d'humain·es, une entité sociale avec son inertie propre, à la fois difficulté à démarrer le changement et à suspendre le cours des activités "normales".
À la rentrée 2021, Peggy Pierrot passe le relais à Maxime Hackermann, et erg nomade se transforme petit à petit d'une adresse mail (créée le 17 mars 2020 pour tenter de faire le distingo entre les demandes du matos et les demandes spécifiquement informatique) en un espace transversal, à cheval entre le soutien aux étudiant·es pour s'approprier les services numériques proposés par l'école, la concertation avec les enseignant·es pour adapter les nouveaux outils à leur pratique pédagogique et l'assistance à l'équipe administrative pour s'assurer que les bonnes informations circulent vers tout·es. Sans oublier de rappeler régulièrement les mots-de-passe de chacun·e !
Commence alors, début 2022, la planification de l'arrêt de l'utilisation des Google Workspace (Gmail & Drive principalement). Si le travail de migration des fonctions "clouds" (partage de fichiers et édition collaborative) peut se mener sur une longue période en parallèle de l'utilisation de Nextcloud, en incitant les personnes à ne plus créer de nouveaux fichiers dans le Drive à partir de la rentrée 2023, la question des mails est plus épineuses, et nécessite une date butoir, un moment de bascule. La "coupure" estivale (qui n'est pas une coupure du point de vue de l'institution, car dès que les jurys et les secondes sessions se terminent vient le temps des inscriptions, puis des admissions, puis de la rentrée, et c'est reparti...) est identifiée comme le moins pire des moment pour cette bascule. Cela permet effectivement d'accompagner individuellement les membres de l'équipe administratives, les enseignant·es étant moins actif·ves sur leurs courriels pendant l'été, mais également pour les informaticien·nes de Tactic ayant pris leurs vacances en décalé (eh oui, les informaticien·nes sont des humain·es comme les autres, et ont aussi besoin de vacances ;~) de continuer de corriger les paramétrages et les bugs inattendus que les premiers jours d'utilisation font surgir.
Pendant cette année scolaire et demie, le travail de migration a consisté, d'un côté, à résoudre et anticiper des problèmes techniques, et de l'autre, à entendre, comprendre et traduire les besoins et les craintes de chacun·e vis-à-vis de ce changement d'ampleur dans les habitudes de travail. En effet, le mail et les documents partagés en ligne (devenus assez central dans "l'ergonomie Google") sont des outils quotidiens que nombre d'entre nous utilisent en permanence. Les changer, c'est changer les habitudes de travail les plus élémentaire, c'est toucher à l'intime (dans le travail) de chacun·e. C'est aussi remettre en jeu une forme d'efficacité dans le travail, qui permet d'être productif·ve, ou, à tout le moins de ne pas s'épuiser dans le travail en se bagarrant avec son clavier et sa souris (et les risques psycho-sociaux que cela induit). Une attention particulière a été faite à l'identification des fonctions les plus utilisées par l'équipe pour pouvoir les transposer dans le nouvel environnement, et à la documentation sous formes de tutoriels pas-à-pas et illustrés, en ligne et imprimés, qui permettent à chacun·e de (commencer à) s'y retrouver, avant d'éventuellement demander un coup de main à ses collègues.