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Actualités culturelles et lecture de l’art / Déconstruction de la modernité (B2)

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Enseignante : Emmanuelle Raingeval

L’art à l’ère du nucléaire


Contenu :

L’exploitation de l’énergie atomique suscite des représentations variées dans l’art international depuis l’explosion des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945. Ces images traitent d’abord du flash de l’explosion produisant une vision radiographique des corps ou figeant l’ombres des silhouettes des victimes sur les bâtiments environnants. Les photographies du nuage en forme de champignon diffusées dans la presse et à la télévision forgent une image iconique de l’ère nucléaire pour le grand public dont s’empare également les artistes. Plus rarement, ils réalisent les portraits saisissants des victimes irradiées comme chez On Kawara ou Arnulf Rainer. D’autres encore amorcent des recherches plastiques sur la matière picturale elle-même qui se désagrège, s’émiette, s’atomise dans la veine de l’art informel d’après-guerre. En Italie, l’Eaismo (Era Atomica- ismo) apparaît à Livourne en 1948 à l’initiative de Voltolino Fontani. Il anticipe les activités du groupe cosmopolite de l’Arte Nucleare constitué à Milan en 1950 autour d’Enrico Baj et Sergio Dangelo qui, selon le manifeste, s’adressent aux « consciences chargées d’explosifs imprévus » tout en répondant à la dimension cosmique de l’écriture poétique de Baj théorisée dans son « Art interplanétaire » de 1959. En Espagne, Salvador Dalì invente quant à lui le « mysticisme nucléaire » en 1951 pour « voir et comprendre la force et les lois cachées des choses », « pénétrer les secrets du réel » et ainsi « prouver l’unité de l’univers » en alliant une nouvelle approche tout à fait personnelle, empreinte d’une spiritualité liée à un intérêt profond pour la science. La peinture gestuelle et la performance offrent également aux artistes la possibilité de mettre en scène des attitudes destructrices et des actes réparateurs. En France, les Nouveaux Réalistes créent par de nombreuses manifestations de force et de violence (tir à la carabine, broyage, brûlage, colères...). Au Japon et dans la continuité de Dada, les membres du Gutaï, pour qui « l’unique moyen d’échapper au carnage serait d’en devenir les auteurs », multiplient les assauts déchirants et des déflagrations explosives. Les artistes mettent ainsi en jeu le rapport antagoniste entre dévastation et réparation pour produire des signes de la vulnérabilité humaine. Les artistes en appellent parfois à l’éthique des scientifiques qui ont permis le développement de l’arme atomique. Des voies se lèvent notamment parmi les surréalistes parisiens à travers un tract de 1958 intitulé « Démasquez les physiciens, videz les laboratoires » afin de lutter contre la prolifération nucléaire et les films d’actualité qui exaltent le travail des chercheurs militaires. Les événements historiques de la Guerre froide et principalement la crise de Cuba ont largement alimenté une critique de la politique de dissuasion entretenue par les deux blocs américain et soviétique dans le champ de la création contemporaine alors animée par les contestations et le militantisme. Gustav Metzger s’impose alors comme l’un des artistes les plus radicaux de sa génération.

Plus récemment, les artistes ont développé une réflexion écologique sur la pollution environnementale liée à l’exploitation civile de l’énergie nucléaire dans les centrales électriques depuis l’accident de Three Mile Island aux États-Unis, survenu au printemps 1979, événement qui fait par ailleurs apparaître le mouvement de l’écoféminisme. La crainte de malformations congénitales, d’atteintes aux fonctions cérébrales ou l’induction de cancers lors l’exposition des femmes enceintes aux rayonnements ionisants produits par la radioactivité est traduite de manière explicite. Les essais menés dans les atolls et les zones désertiques comme le désert algérien, les zones d’exclusion autour de Tchernobyl et de la ville de Fukushima ont également été le sujet d’œuvres traitant de la contamination radioactive notamment dans l’œuvre de Julian Charrière et de Cécile Massart. Elles portent parfois un questionnement original sur le postcolonial. Cette vaste thématique mérite une attention particulière puisqu’elle n’a fait l’objet que de rares études en histoire de l’art et permet d’appréhender la menace d’un anéantissement global, aujourd’hui perçue par le biais du danger du réchauffement climatique, mais présente depuis le déploiement des technologies militaires exterminatrices. Le cours, qui croise l’histoire de l’art international depuis 1945 à la philosophie et la littérature, participe à la pleine compréhension de la réception culturelle du nucléaire, un champ d’étude qui est en train d’émerger. Un biais historiographique explique par ailleurs que cette question ait été mise de côté ; c’est en effet par l’écologie et les outils conceptuels qui permettent aujourd’hui de penser la menace globale du réchauffement climatique que semble enfin émerger une réflexion sur le nucléaire. Revenir sur la possibilité d’une « apocalypse nucléaire » et sa réception culturelle pourrait désormais éclairer la réflexion sur la crise actuelle.


Méthode d’enseignement :

Le cours magistral articule exposé théorique, travail de description et de commentaire de l’œuvre d’art et lectures connexes de textes philosophiques ou littéraires. La participation des étudiants est vivement encouragée.

Aperçu des auteurs abordés :

Histoire de l’art :

- Jean-Michel Durafour, Tchnernobyliana. Esthétique et cosmologie de l’âge radioactif, Paris, Vrin, 2021.

- Nina Felshin, Disarmming Images: Art for Nuclear Disarmament, Cincinnati, The Contemporary Arts Center, september 14 - october 27 1984.

- Hélène Guenin (dir.), Sublime, les tremblements du monde, Metz, Centre Pompidou-Metz, 11 février - 5 septembre 2016.

- Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Céline Jurgensen (dir.), Imaginaires nucléaires. Représentations de l’arme nucléaire dans l’art et la culture, Paris, Odile Jacob, 2021.

Catherine Jolivette (ed.), British Art in the Nuclear Age, London, New York, Routledge, 2014.

- Tristan Sauvage, Art Nucléaire, Stockholm, Eric Diefenbronner, 1962.

Art :

Yves Klein, Salvador Dalì, Enrico Baj, Julian Charrière, Voltolino Fontani, Michael Koerner, On Kawara, Cécile Massart, Gustav Metzger, Saburo Murakami, Arnulf Rainer, Motonaga Sadamasa, Kazuo Shiraga, Shozo Shimamoto, Toshio Yoshida ...

Philosophie et littérature :

Günther Anders, Hannah Arendt, Raymond Aron, George Bataille, Jean Baudrillard, Maurice Blanchot, Simone de Beauvoir, André Breton, Albert Camus, Jacques Derrida, René Girard, Jean Guitton, Stéphane Hessel, Hans Jonas, Emmanuel Levinas, Lucien Poirier, Bertrand Russell, Jean-Paul Sartre, Pierre Teilhard de Chardin...

Acquis d’apprentissage :

- Identifier, sélectionner et analyser avec esprit critique diverses ressources pour documenter un sujet et synthétiser ces données en vue de leur exploitation.

- Organiser des ressources documentaires spécialisées, (sites, bases de données, ressources numériques, archives) ainsi que les modalités d'accès.

- Identifier la terminologie descriptive et critique pour commenter les productions artistiques.

- Utiliser des méthodes de regard et d'observation des productions artistiques adaptées au travail de description, de commentaire et d'analyse.

- Se servir aisément des différents registres d’expression écrite et orale de la langue française.

- Mobiliser une culture générale artistique ainsi que les principales méthodes disciplinaires pour documenter et interpréter une production artistique.

- Mobiliser des concepts issus de disciplines connexes (histoire, anthropologie, lettres, philosophie, sociologie) pour rattacher les productions artistiques à des contextes sociaux, culturels et techniques.

- Discerner les éléments essentiels d'une culture matérielle dans un cadre chrono culturel.

Supports :

La fiche de cours, les modalités d’évaluation, le calendrier des différentes échéances, la bibliographie, la présentation visuelle et les textes vus en cours seront mis en ligne sur le cloud.

Modalités d’évaluation :

Dossier (15 points).

Présentation (page de couverture, table des matières, numérotation des pages, légendes des images avec la notice catalographique des œuvres, bibliographie, apparence générale). 2 pt.

Structure (respect de la méthodologie, biographie de l’artiste, analyse formelle, interprétation, conclusion). 4 pts.

Qualité de la rédaction (grammaire, orthographe, clarté, style, lisibilité). 2 pt.

Qualité de traitement du sujet (pertinence de l’analyse et sens critique, pertinence des idées, compréhension de l’œuvre, finesse de l’appréciation personnelle, documentation). 12 pts.